Histoire de Belfast
L’Histoire récente de Belfast a fait l’actualité de sinistre manière pendant les dernières décennies. Mais elle n’est que le prolongement et, espérons le, la fin d’une Histoire marquée par l’opposition des communautés protestante et catholique. Se plonger dans l’Histoire de Belfast, c’est aussi se plonger dans l’Histoire de l’Irlande du Nord, et mieux comprendre les événements qui ont profondément marqué le visage de Belfast et de l’Irlande du Nord ces dernières décennies.
Aux origines de Belfast : la Plantation d’Ulster
Le site occupé aujourd’hui par la ville de Belfast a sans doute été habité dès l’âge de Bronze, comme en témoignent quelques vestiges autour de Belfast, en particulier le Giant’s Ring au sud de Belfast ainsi que quelques forts de l’âge de Fer visibles dans les collines environnantes. Plus tard un premier village sans grande envergure se développera autour d’un fort construit en 1177 par le normand John de Courcy. Mais le village et le château seront détruits quelques années plus tard seulement.
La ville de Belfast ne naît réellement qu’au début du 17ème siècle. L’Ulster est alors la dernière province irlandaise à résister à la domination anglaise. Mais après 9 ans de guerre, les chefs des clans gaéliques O’Neill et O’Donnell sont défaits par les armées anglaises et doivent fuir l’Irlande en 1607. Pour éviter une nouvelle rébellion, leurs terres sont confisquées et offertes à des colons anglais et écossais de confession protestante. Cette période de l’Histoire de l’Irlande, connue sous le nom de “Plantation”, est en fait une véritable politique de colonisation de l’Irlande, et la “Plantation d’Ulster” est la plus active de toutes. À partir de 1611 le baron Arthur Chichester organise l’installation de colons anglais et écossais à l’embouchure de la Lagan et de la Farset : Belfast est née. Mais la population autochtone catholique ne tarde pas à se rebeller. En 1641 les catholiques se soulèvent en Ulster et la rébellion se propage à toute l’Irlande. Après des années de guerre civile, les armées de Oliver Cromwell, Lord Protecteur du Commonwealth d’Angleterre, d’Irlande et d’Écosse, reconquièrent l’Irlande de 1649 à 1653. Ces guerres furent très meurtrières pour les catholiques irlandais (on parle de 400 000 à 600 000 morts dans un pays qui comptait alors 1,5 millions d’habitants !) et ont laissé une trace indélébile dans les mémoires irlandaises. La conséquence immédiate fut une accentuation de la politique de plantation. De nouvelles terres sont confisquées et de nombreux soldats écossais et anglais protestants, venus combattre les irlandais, s’installent définitivement en Irlande et en particulier en Ulster.
Belfast sous la Révolution Industrielle
À la fin du 17ème siècle des Huguenots français, fuyant la persécution de Louis XIV, s’étaient installés à Belfast et y avaient implanté une industrie prospère du lin, produit dans les villages autour de Belfast et exporté vers l’Angleterre. Cette activité est toujours prospère au 19ème siècle quand la Révolution Industrielle transforme Belfast en principale, voire unique, métropole industrielle d’Irlande. C’est l’âge d’or de Belfast : la population de la ville croît de manière exponentielle (de 20 000 habitants vers 1800 la ville passe à 400 000 habitants à l’aube de la Première Guerre Mondiale), la ville développe des infrastructures pour faire face à l’afflux de population et les immeubles victoriens poussent comme des champignons, symboles de l’opulence de la ville. En 1888 la ville se voit décerner le titre de “City” par la Reine Victoria. L’économie de Belfast est tirée par les industries du lin, du tabac et de la mécanique lourde. Mais ce sont surtout les chantiers navals, dont l’implantation a été favorisée par le cadre naturelle de Belfast, qui dominent l’économie. Le plus gros d’entre eux, Harland & Wolff, dont les grues jaunes dominent toujours l’horizon de Belfast, compta jusqu’à 35 000 employés ! C’est de ces chantiers qu’est sorti en 1911 le célèbre Titanic qui subira quelques mois plus tard le triste sort que l’on connaît … Mais si les nouveaux arrivants à Belfast trouvent du travail, ils connaissent également des conditions de vie rudes, parqués dans des quartiers surpeuplés et insalubres, la ville connaissant même des épidémies de choléra au milieu du 19ème siècle. De plus l’afflux d’une population rurale catholique, venue de l’ouest de la province d’Ulster pour chercher du travail à Belfast, crée des tensions entre les communautés religieuses qui dégénèrent régulièrement en émeutes sur fond de débats politiques naissants sur l’autonomie et l’indépendance de l’Irlande.
Belfast et la partition de l’Irlande
La fin du 19ème siècle voit en effet les idées d’autonomie, voire d’indépendance, se développer en Irlande. Mais à Belfast et en Irlande du Nord, la majorité protestante se sent menacée par ces changements politiques vus comme une cession du pouvoir aux catholiques (majoritaires sur l’ensemble de l’île d’Irlande) et réaffirme son attachement au Royaume-Uni (on parle de “loyalistes”). Les projets de Home Rule visant à accorder une plus grande autonomie à l’Irlande provoquent des émeutes à Belfast. La guerre d’indépendance irlandaise de 1920 à 1922 se traduit à Belfast et en Irlande du Nord par de graves violences sectaires entre les communautés catholiques et protestantes, des assassinats et des escarmouches entre l’IRA et les milices loyalistes. Dès 1920 le gouvernement britannique envisage une partition de l’Irlande pour sortir du conflit, solution à laquelle les loyalistes d’Irlande du Nord se préparent. L’idée a fait son chemin lorsque le traité anglo-irlandais en 1922 met fin à la guerre d’indépendance irlandaise. Ce traité qui consacre la création d’un État libre irlandais prévoit également la partition de l’Irlande : les six comtés d’Ulster à majorité protestante (Londonderry, Antrim, Tyrone, Fermanagh, Down et Armagh) forment l’Irlande du Nord, dont Belfast devient la capitale, et restent rattachés au Royaume-Uni. Ce traité déclenche en Irlande une guerre civile entre pro-traité et anti-traité, qui ne supportent pas l’idée d’abandonner leurs “frères catholiques” du nord. En Irlande du Nord il provoque une nouvelle flambée de violence. Les actions meurtrières de l’IRA, soutenue par la toute jeune République d’Irlande, donnent lieu à des représailles contre la minorité catholique par les milices loyalistes, avec la complaisance des forces de l’ordre britanniques. Avec la fin de la guerre civile en Irlande en 1923 les violences prennent rapidement fin en Irlande du Nord, mais laissent des traces qui referont surface des décennies plus tard. Au total on estime que les violences à Belfast à cette période ont tué 465 personnes, dont une grosse majorité de civils.
Belfast, de la Crise de 29 à la Seconde Guerre Mondiale
Comme ce fut le cas pour toutes les grandes villes industrielles dans le monde, la Crise de 1929 et la Grande Dépression frappent durement la toute jeune capitale de l’Irlande du Nord. L’industrie textile et la construction navale, principaux pourvoyeurs d’emplois à Belfast, sont durement touchées. Le chômage et la pauvreté frappent durement les classes les plus populaires, en particulier la communauté catholique. Dans les années 30, les tensions économiques provoquent à nouveau des émeutes entre les communautés, même si certains mouvements sociaux réunissent catholiques et protestants (Belfast Outdoor Relief Strike en 1932).
La Seconde Guerre Mondiale et ses besoins en armement marque un redémarrage de l’économie de la capitale nord-irlandaise. Mais elle est aussi synonyme d’heures sombres. Les activités de construction navale et aéronautique de Belfast en font une cible privilégiée pour le IIIème Reich. Mais la distance avec l’Allemagne semblait mettre Belfast à l’abri des bombardements allemands et la ville n’a donc été que peu protégée. Pourtant le 15 avril 1941, mardi de Pâques, 200 bombardiers de la Luftwaffe lâchent leurs bombes sur Belfast, ravageant en particulier les quartiers populaires autour des chantiers navals. Ces bombardements détruisent la moitié de la ville, causent 1 000 morts et le quart de la population se retrouve sans abri. Belfast paie ainsi le plus lourd tribut parmi les villes britanniques après Londres.
Les Troubles à Belfast
Mais le renouveau économique ne survit pas à la Seconde Guerre Mondiale : le déclin industriel de la ville reprend après guerre, avec son lot de misère et d’inégalités sociales. Outre ces difficultés économiques, les discriminations économiques, sociales et politiques envers la minorité catholique enfermée dans la misère créent des tensions qui aboutissent à une explosion en août 1969 : à Belfast comme dans les autres grandes villes d’Irlande du Nord la minorité catholique se révolte et est sévèrement réprimée. Les deux communautés religieuses s’affrontent à nouveau et poussent l’Irlande du Nord dans une guerre civile qui ne dit pas son nom : attentats de l’IRA, représailles des milices loyalistes, assassinats, émeutes dans les quartiers populaires catholiques, répressions violentes de forces de l’ordre partisanes, … Les “troubles” comme on les appelle pudiquement atteignent leur paroxysme dans les années 70 et se poursuivent jusque dans les années 90. Après des décennies de tensions, le cessez-le-feu décrété par l’IRA en 1994 et les Accords du Vendredi Saint en 1998 ont ramené une paix fragile à Belfast et en Irlande du Nord. Mais les stigmates des troubles sont encore bien visibles aujourd’hui, et le chemin de la réconciliation sera long dans les esprits. Mais grâce à de gros investissements financiers, en particulier des aides massives de l’Union Européenne, Belfast panse ses cicatrices et se transforme chaque jour en une ville moderne et dynamique !
Merci pour cet article qui m’a permis d’éclaircir certains points.
Je suis allée à Belfast en mai de cette année, les stigmates de ces “troubles” sont encore bien visibles dans les rues, les barrières et les barbelés séparant les quartiers catholiques populaires des quartiers protestants sont encore visibles. Il y a encore peu de temps ces barrières étaient fermées le soir ! Il faut aller à Belfast, il faut regarder les fresques peintes sur les murs de la ville, elles sont magnifiques et elles racontent l’histoire des troubles de Belfast.