Derry
Deuxième plus grosse ville d’Irlande du Nord après Belfast, Derry a longtemps souffert d’une image troublée par la guerre que se sont livré les communautés catholique et protestante pendant les dernières décennies en Irlande du Nord et à Derry en particulier (c’est ici que s’est déroulé le fameux Bloody Sunday). Malgré le retour de la paix depuis une vingtaine d’années, la ville garde encore des traces visibles de ces troubles. Mais Derry semble décidée à tourner la page et est aujourd’hui une destination touristique très courue en Irlande. On y vient pour admirer un patrimoine culturel très riche (en particulier les remparts de Derry, les mieux préservés d’Irlande) et se replonger dans les événements tragiques qui ont marqué la ville à partir des années 60.
Histoire de Derry
Comme beaucoup de villes irlandaises, c’est autour d’une abbaye fondée au 6ème siècle par Saint Colomba (Saint Columb en anglais) que la ville de Derry s’est développée. Le nom irlandais de la ville, Doire Colmcille (« chênaie de Saint Colomba ») fait d’ailleurs référence à cette abbaye fondée par Saint Colomba, sur une colline à l’est de la rivière Foyle. Aux 12ème et 13ème siècles, la ville prospère sous la protection de la famille McLoughlin, puis perd de son influence avec le déclin de cette même famille.
Durant la deuxième moitié du 16ème siècle, la Reine d’Angleterre Elizabeth I tente de conquérir la province d’Ulster, la dernière à ne pas être sous le contrôle des anglais. Après une première occupation de quelques années à partir de 1566, les anglais reprennent Derry en 1600, durant la Guerre de Neuf Ans. À la fin de la guerre en 1603, les chefs irlandais gaéliques de la province d’Ulster, les O’Neill et les O’Connell, fuient l’Irlande … Les anglais s’installent définitivement à Derry et la ville obtient le statut de « city ». Après la mort de Elizabeth I en 1603, Jacques I décide d’un plan pour soumettre définitivement l’Ulster : la « Plantation of Ulster », une politique qui consiste à confisquer les terres des chefs gaéliques pour les céder à des écossais et des anglais protestants. Une colonisation qui ne dit pas son nom … En 1608, la ville est détruite par Cahir O’Doherty, dernier seigneur gaélique irlandais de Inishowen, qui mourra quelques temps plus tard. La ville est reconstruite de l’autre côté de la rivière Foyle et entourée de remparts grâce au soutien de guildes londoniennes. En 1623, en honneur de ses bienfaiteurs londoniens la ville est rebaptisée Londonderry, qui est toujours le nom officiel de la ville (malgré de nombreuses controverses, encore aujourd’hui). Par son tracé moderne et les remparts qui la protègent, Londonderry est une ville modèle de la politique de plantation de l’Ulster.
Dans les décennies qui suivent la construction des remparts, la ville de Derry est régulièrement assiégée, par des rebelles irlandais en 1641 ou par les écossais presbytériens en 1649 alors que la ville apporte son support au parlement de Londres. Mais le siège le plus important, date importante de l’Histoire de l’Irlande du Nord, remonte à 1689 et aux guerres jacobites : William d’Orange (supporté par les protestants en Ulster, les orangistes) a renversé James II Stuart (supporté par les catholiques, les jacobites) sur le trône du Royaume d’Angleterre, provoquant une guerre entre catholiques et protestants (déjà). Dans une Irlande dévouée à la cause jacobite, Derry est un des rares bastions protestants. Une armée de 1 200 hommes, constituée en grande partie de Highlanders surnommés les Redshanks, marche sur la ville. Mais 13 apprentis (les Apprentice Boys, toujours célébrés aujourd’hui par la communauté protestante) ferment les portes de la ville. Refusant de se soumettre à Jacques II (le slogan « No Surrender » utilisé par la communauté protestante en Irande du Nord vient de là), la ville subit un siège de 105 jours à partir d’avril 1689. Les boulets de canon tombent sur la ville, la famine et les maladies font des ravages, mais la ville résiste jusqu’à ce qu’un navire orangiste rompe le siège fin juillet 1689. La ville est libérée mais a perdu le tiers de sa population … Aujourd’hui encore la visite de certaines parties de la ville rappelle cet épisode de l’Histoire de Derry. Mais c’est surtout dans les esprits et les traditions de la communauté protestante que le siège de Derry a laissé des traces, encore visibles aujourd’hui.
Au 18ème siècle, des travaux changent le visage de la ville : des bâtiments géorgiens (toujours visibles) sont construits et le premier pont traversant la Foyle est inauguré en 1790. Jusqu’au 19ème siècle, le port est un des principaux points d’embarquement des émigrés vers l’Amérique du Nord. Ce sont d’ailleurs des émigrants de Derry qui fonderont les villes de Londonderry et Derry dans le New Hampshire aux États-Unis. À partir de la deuxième moitié du 19ème siècle, l’industrie textile prospère à Derry. Pour la petite histoire, c’est Derry qui fournira les chemises pour les soldats des deux camps qui s’affrontent lors de la Guerre de Sécession aux États-Unis. Depuis, la ville de Derry envoie tous les ans 12 chemises au Président des États-Unis d’Amérique !
Les troubles à Derry
Dès la Révolution Industrielle les catholiques sont majoritaires à Derry. Mais la communauté protestante conserve le pouvoir grâce à un règlement électoral sur mesure et mène une politique de discrimination (logement et emploi) et d’humiliation de la communauté catholique. La situation empire à l’issue de la Guerre d’Indépendance de l’Irlande (marquée déjà par des affrontements violents entre catholiques et protestants à Derry) et de la partition de l’Irlande en 1921, contraire aux volontés de la communauté catholique d’Irlande du Nord. La situation se tend et explose à la fin des années 60, avant de s’apaiser à la fin des années 80. Petit récapitulatif des principaux événements des troubles à Derry :
- Inspirées par le modèle du Mouvement pour les Droits Civiques de Martin Luther King aux États-Unis, des associations (en particulier la NICRA, Northern Ireland Civil Rights Association) organisent des marches pacifiques pour réclamer l’égalité des droits entre catholiques et protestants.
- En octobre 1968, une marche dans le centre de Derry est interdite et violemment réprimée par la RUC (Royal Ulster Constabulary, la police nord-irlandaise).
- En janvier 1969 la tension monte encore d’un cran quand une marche de Belfast à Derry est attaquée par des loyalistes protestants, provoquant des émeutes à Derry entre les catholiques et la RUC, accusée de ne pas avoir protégé la marche. La nuit la RUC force l’entrée des maisons du quartier catholique de Bogside. En réaction des barricades sont dressées autour de Bogside : Free Derry est né !
- En avril 1969, Samuel Devenny, un habitant du Bogside, meurt après avoir été battu à mort par des membres de la RUC.
- De nouvelles émeutes se produisent le 12 juillet 1969 à l’occasion des marches orangistes.
- Mais c’est lors de la marche orangiste des Apprentice Boys le 12 août que les émeutes atteignent leur paroxysme : la marche provoque des affrontements violents entre catholiques et protestants qui dégénèrent en véritable bataille : la bataille du Bogside. Du 12 au 14 août, à coups de cocktails molotov et de bombes incendiaires, la jeunesse de Bogside mène une véritable guérilla contre la RUC et l’empêche de pénétrer dans le quartier. Il faut l’intervention de l’armée britannique pour rétablir le calme. Cette bataille du Bogside est souvent considérée comme le véritable début des Troubles en Irlande du Nord.
- Les émeutes entre les catholiques et la RUC se poursuivent régulièrement, mais jusqu’en 1971 elles ne provoquent aucun mort d’un côté comme de l’autre. Mais après la mort d’un soldat britannique et deux émeutiers de Bogside, l’IRA organise une campagne de violence dans la ville de Derry et les violences sectaires se multiplient. L’IRA monte de nouvelles barricades autour de Bogside et organise des rondes dans le quartier : Free Derry est désormais une zone inaccessible aux autorités nord-irlandaises et britanniques, une sorte de communauté libre.
- Le 30 janvier 1972, lors de nouvelles émeutes, l’armée britannique tire à balles réelles sur la foule de manifestants. C’est le fameux Bloody Sunday qui fera 14 victimes. Le gouvernement britannique soutient la thèse de l’armée : elle a répondu à des tirs de membres de l’IRA. Pourtant aucun soldat britannique n’a été blessé et les différentes enquêtes montreront que les manifestants catholiques n’étaient pas armés …
- Après le Bloody Sunday, l’IRA gagne des supporters parmi la population catholique et multiplie les attaques contre l’armée britannique. En mai 1972, Official IRA enlève et exécute un homme de Derry qui s’apprêtait à rejoindre l’armée britannique. Face aux protestations de nombreux républicains, Official IRA déclare un cessez-le-feu qu’elle n’a pas rompu depuis. Mais une autre branche de l’IRA, Provisional IRA, continue les actions violentes.
- Le 31 juillet 1972, l’armée britannique lance un opération, Operation Motorman, pour reprendre le contrôle du quartier de Bogside : 22 000 soldats sont mobilisés et reprennent le Bogside en une journée. Deux jeunes du quartier sont abattus, mais l’IRA, trop inférieure en moyens, ne résiste pas et le gouvernement britannique reprend le contrôle de Bogside.
- Les actions violentes (assassinats, attentats, sabotages, …) continuent à Derry jusqu’à la fin des années 80, période à partir de laquelle les tensions s’apaisent à Derry.
Visiter Derry
La ville s’étend de part et d’autre de la Foyle qui, même si les deux communautés ont de plus en plus tendance à se mélanger, sépare les deux communautés : à l’est de la Foyle les quartiers protestants, à l’ouest les quartiers catholiques. La ville fortifiée, qui comprend les principaux points d’intérêt de la ville, se trouve sur la rive ouest. Pour visiter la ville fortifiée, le plus simple est de se garer dans un des parkings (payants) du Foyleside Shopping Centre, situé sur les quais de la Foyle au pied des remparts. L’office du tourisme (très bien organisé) se situe juste à côté. On peut alors faire le tour des remparts pour découvrir les curiosités de la ville.
À voir à Derry
- Les remparts de Derry. Construits entre 1614 et 1619, ce sont les derniers construits en Europe et les seuls encore intacts en Irlande. Le tour des remparts fait 1,5 km de long. Les remparts mesurent jusqu’à 9 mètres de large et 8 mètres de hauteur. Aux quatre portes d’origine (Bishop’s Gate, Ferryquay Gate, Butcher Gate et Shipquay Gate) sont rajoutées par la suite trois nouvelles portes (Magazine Gate, Castle Gate et New Gate). La section la plus large, Grand Parade, se situe à l’ouest entre Bishop’s Gate et Butcher’s Gate. C’est ici que se produisent les marches orangistes … juste en face du quartier catholique de Bogside, ce qui explique la présence de grilles de protection ! À plusieurs emplacements des remparts vous remarquerez également des canons, utilisés pour défendre la ville pendant le siège de Derry. Les remparts étaient occupés par l’armée britannique jusqu’en 1994. Ils sont maintenant devenus un agréable lieu de promenade.
- Saint Columb’s Cathedral (Church of Ireland). Édifiée en 1633, c’est la première cathédrale protestante construite en Irlande et donc un véritable symbole pour la communauté protestante en Irlande du Nord. Visite gratuite (il faut néanmoins payer pour prendre des photos) mais don suggéré. L’intérieur est superbe, avec un mobilier très riche. Accueil très sympathique. Possibilité d’emprunter un guide audio en français (avec un délicieux accent britannique !) pour découvrir les secrets de la cathédrale.
- Tower Museum. Au pied de la pointe nord des remparts. Musée sur l’Histoire de Derry, de la Préhistoire à nos jours.
- The Guildhall. Ce bâtiment de style néogothique construit en 1890 puis reconstruit en 1908 après un incendie abrite le conseil municipal de Derry. Symbole de la discrimination contre les catholiques, il fut visé par deux attentats de l’IRA en 1972. De 2000 à 2005, The Guildhall a accueilli l’enquête officielle sur le Bloody Sunday (Saville Inquiry).
- La ville intra-muros. À l’intérieur des remparts, les rues principales partent d’une place centrale, The Diamond. Plusieurs belles maisons géorgiennes dans ces rues très commerçantes. Entre Magazine Street et Shipquay Street, le Derry Craft Village est une petite place entourée de commerces, d’artisans, … À noter une étonnante chaumière qu’on imaginerait bien au milieu de nulle part dans le Donegal !
- Bogside / Free Derry. Quartier catholique à l’ouest des remparts, c’est ici qu’ont démarré les troubles en Irlande du Nord et que s’est déroulé le sinistre Bloody Sunday (un monument commémore d’ailleurs cette tragédie sur Rossville Street). On accède au quartier depuis le nord-ouest des remparts. Le quartier accueille aujourd’hui beaucoup de touristes qui viennent admirer les fresques mondialement connues peintes entre 1997 et 2001 par un groupe d’artistes natifs de Bogside : Tom Kelly, William Kelly et Kevin Hasson. Ces fresques illustrent les événements les plus marquants des Troubles à Derry (voir plus haut). Possibilité de tour commenté de ces fresques avec les Free Derry Tours. On peut aussi visiter le Museum of Free Derry qui retrace les Troubles dans le Bogside. À noter également un monument, le H Block Monument, en mémoire de Bobby Sands et des autres grévistes de la faim morts dans les geôles britanniques au début des années 80.
- D’autres fresques sont visibles dans les quartiers populaires protestants : dans le quartier The Fountain, enclave protestante à l’ouest de la Foyle, au sud-est des remparts, ou dans Bond’s Street, sur la rive est de la Foyle.
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